Dissertation de Philosophie (corrigé)
Introduction
L’homme, même très tôt dans son enfance, comprend intérieurement le sens de la justice. Fondamentale dans la vie en société, elle se pense en parallèle avec le droit et est à l’origine de diverses institutions spécialisées au sein de l’Etat. Etant donné que la justice ne se fait pas naturellement, c’est parce que les choses humaines présentent également des disparités entre elles. Rétablir la justice ne signifie pas nécessairement changer le monde selon une homogénéité, mais plutôt offrir les mêmes droits à chacun afin de pouvoir bénéficier des mêmes traitements. Cependant, fonder le droit est aussi compliqué que fonder la justice, ce qui est même à l’origine des crises sociétales. « Ne pas croire qu’on a des droits. C’est-à-dire, non pas obscurcir ou déformer la justice, mais ne pas croire qu’on puisse légitimement s’attendre à ce que les choses se passent d’une manière conforme à la justice ; et d’autant plus qu’il s’en faut de beaucoup que soi-même on soit juste », fait remarquer Simone Weil dans ses Cahiers II. Ainsi, il est des cas où nous nous complaisons dans l’injustice car la situation nous est profitable. La coexistence entre différentes cultures dans une même communauté est en effet le théâtre principal de l’injustice, ce qui se manifeste notamment par des délits et autres formes de violence. La pluralité signifie singularité dans chaque élément, or cette singularité est difficile à cerner avec la raison universelle. Est-il possible d’instaurer la justice lorsqu’il y a incompréhension de l’autre via sa culture ? Pour traiter cette problématique, nous allons adopter un plan à trois parties : premièrement, les cultures sont destinées à se mélanger entre elles ; deuxièmement, la justice est indispensable pour faire régner la paix et le vivre en commun ; et troisièmement, c’est parce que l’homme est capable de justice que l’interaction entre les cultures dans un même espace est possible.
I) La pluralité des cultures est un trait marquant de l’humanité
Semblables à la disparité des êtres vivants dans le monde naturel, les communautés d’hommes se différencient à travers leurs cultures respectives. L’espace géographique et les traits physiologiques sont les premiers caractères observables qui font qu’un peuple soit différent d’un autre. Placé dans un milieu naturel, le peuple adopte un mode de vie en fonction de ces conditions, ce qui influence sur l’aptitude à certains métiers, sur la santé et la longévité des individus, et surtout sur les coutumes et pratiques usuelles dans la communauté. Xavier Bichat disait d’ailleurs dans Recherches physiologiques sur la vie et la mort : « La société donne presque constamment à certains organes externes une perfection qui ne leur est pas naturelle, et qui les distingue spécialement des autres ». C’est parce qu’il existe des cultures différentes, réparties dans ces contrées lointaines, que les arts, les sciences, les religions sont autant variés que impressionnants. L’humanité, qui est un concept des plus abstraits, ne peut se penser sous un angle unique, car elle est représentée par un critère essentiel qui est la culture. Il est tout à fait aisé de penser l’art ou la science selon leur généralité, ou bien de dégager ce qui est en commun avec les différentes religions. Mais la culture présente cette particularité, ne pouvant être réduite en concept, et pourtant celle-ci n’a cessé d’être le foyer de la vie en communauté. Comme Auguste Comte le disait clairement dans son Catéchisme positiviste : « L’homme le plus habile et le mieux actif ne peut jamais rendre qu’une minime portion de ce qu’il reçoit. Il continue, comme dans son enfance, à être nourri, protégé, développé, etc. par l’Humanité ». Une fois que l’individu est acculturé, il perd son identité et perd également ses repères. Se dire tout simplement qu’on est homme, qu’on exécute nos devoirs avec vaillance et que nous sommes adulées par notre entourage ne suffit pas pour être entièrement épanoui. L’individu se veut être fier de ses origines et aspire naturellement à côtoyer ses compatriotes. Le choix personnel à vouloir adopter une autre culture, notamment celle d’émigrer dans un pays étranger, est soit une fatalité, soit le désir d’enrichir les bases qui ont été fondées par sa propre culture. C’est dans ce dernier cas que le terme se cultiver prend tout son sens. Dans son livre Le rameau d’or, James Georges Frazer écrit : « Il nous faut reconnaître une nouvelle province du savoir, dont la conquête exigera les efforts de nombreuses générations de savants ».
L’humanité s’abreuve d’une grande richesse intellectuelle grâce à la pluralité des cultures, un trésor qui s’accumule progressivement avec la mobilité des peuples. Compte tenu de la mutation de la société, composée désormais d’une pluralité de cultures, l’instauration de la justice devient un problème très courant.
II) Il est plus difficile d’instaurer la justice dans les faits que selon le droit
Il est impensable de concevoir une société d’hommes sans hiérarchie, car les individus eux-mêmes sont dotés individuellement de talents, de pouvoirs, de richesses ou encore d’expériences très variées. Ces différences contribuent au plus haut point à cimenter la base du vivre en commun, mais sont également la source de discorde face à l’instauration du droit et de l’équité. Les hommes ont beau penser que leurs droits sont universels, or les faits attestent que la jouissance des droits les plus élémentaires dépend encore de certaines considérations. En ne parlant que des biens matériels, la richesse est un critère que tout un chacun a intériorisé, pour établir un jugement de valeur entre ses semblables. Karl Marx réalise ceci dans La question juive : « Le droit de propriété privé est donc le droit de jouir et de disposer de sa fortune arbitrairement (à son gré), sans tenir compte d’autrui, indépendamment de la société, c’est le droit de l’égoïsme. C’est cette liberté individuelle et ce qui en découle qui forment la base de la société bourgeoise ». La hiérarchisation des individus, selon les dispositions de chacun à se faire un titre dans la société, est déjà une forme de justice car elle est basée sur la réalité des hommes. Seulement, les membres de la communauté ne disposent pas des mêmes chances à parvenir à un rang social donné, car l’opinion conçoit inconsciemment cette hiérarchie à travers les métiers, les types de savoir, les origines raciales et même à travers le mode de consommation. C’est la base de la hiérarchisation qui est principalement injuste, c’est-à-dire en fonction d’une croyance ou d’une préférence qui est d’emblée irrationnelle. Ce constat de Karl Popper dans La quête inachevée laisse transparaître ce problème social : « Si la conjoncture du socialisme et de la liberté individuelle était réalisable, je serais socialiste aujourd’hui encore. Car rien de mieux que vivre une vie modeste, simple et libre dans une société égalitaire ». Il est tout à fait palpable dans les faits que la ségrégation est un vice inné chez les hommes, et qu’elle se pratique majoritairement dans la sphère culturelle. Si l’injustice se propage même à l’intérieur des institutions étatiques, c’est parce qu’elle a été légitimée à la base, à savoir dans l’inconscient individuel. Une culture n’est point injuste en soi, mais elle devient moins importante après comparaison avec une autre qui offre un semblant d’artifices, de liberté ou de prestige. Mais ce jugement ne serait pas ancré aussi loin dans l’opinion publique que seulement parce qu’il y avait une sorte de domination culturelle, ramenée dans l’inconscient, tel qu’il a été propagé dans l’époque de l’esclavage et de la colonisation. Cette affirmation de Jules Lagneau le confirme aisément : « Le seul inconscient qui existe, c’est ce qui a été agrégé automatiquement, sans pensée au sens strict, par suite sans conscience et, n’ayant pas été d’abord dans la conscience, n’est pas susceptible d’y rentrer ».
L’injustice sévit toutes les sociétés humaines, mais elle est encore plus palpable en présence de différents groupes ayant leurs cultures respectives. Sachant que l’égoïsme et la soif de distinction découlent de la nature de l’homme, la création d’un Etat et des institutions qui lui sont rattachées prouve l’effort de tendre vers un vivre en commun harmonieux.
III) La diversité donne sens à l’instauration de la justice
Chaque homme veut préserver son identité, tout en aspirant à la reconnaissance parmi ses semblables. C’est à travers cette atmosphère que l’homme trouve la joie de vivre en société, mais ce but requiert un effort commun pour mettre en place la justice. La police et le tribunal sont des formes déjà avancées pour résoudre les contentieux sur la base du droit positif, or la justice dont l’homme a besoin est, d’une façon élémentaire, la considération par autrui qu’il compte à ses yeux. En effet, la violence est la manière la plus fréquente par laquelle l’injustice se présente, mais il est tellement compliqué de combattre la violence, celle-ci étant le fruit d’une intolérance face à la différence. Si notre étude se base uniquement sur la justice, les lois écrites stipulent déjà de façon claire l’égalité entre les hommes quelle que soit leur origine et leur religion. Mais il n’en est rien dans la vraie réalité. C’est la raison pour laquelle Hobbes, dans Le citoyen ou les fondements de la politique, souligne : « D’ailleurs encore que l’homme désirât naturellement la société, il ne s’ensuivrait pas qu’il fût né sociable, je veux dire, avec toutes les conditions requises pour la contracter ». Pour la question de savoir s’il est possible que les individus de culture différente vivent communément dans la justice, la difficulté ne repose pas dans la culture elle-même, mais dans la capacité de l’homme à instaurer un gouvernement et des lois inclusives. Et même dans un degré plus bas, la politesse est la marque la plus probante de l’altruisme, ce qui implique nécessairement une ouverture vers ce qui est étranger, et enfin à instaurer la confiance. Les premiers responsables de la justice ne sont pas les forces de l’ordre, mais les particuliers qui ont conscience qu’autrui, c’est-à-dire mon semblable, mérite d’être traité humainement. Schopenhauer, dans Parerga et Paralipomena, confirme cette thèse en ces termes : « La distance moyenne qu’ils finissent par découvrir et à laquelle la vie en commun devient possible, c’est la politesse et les bonnes manières ». Pour leur part, les institutions étatiques ne feront que calquer cette harmonie sociale, en mettant en place une législation commune et équitable. Il existe autant de formes de gouvernement qu’il y a de formes de société, ce qui signifie que la justice peut se déployer selon les rapports sains qui s’établissent entre les individus. Et il n’est pas contraire à la raison de penser que des groupements d’hommes aux cultures diversifiées cohabitent en harmonie dans un même territoire. En somme, le phénomène d’acculturation n’est point une solution aux problèmes liés à la justice sociale : c’est à l’intérieur même de la pluralité de culture que le sentiment de justice se développe chez l’homme. Comme disait Kant dans son Doctrine du droit : « Si la justice disparaît, c’est chose sans valeur que le fait que des hommes vivent sur la terre ».
Conclusion
Il existe également des attributs très spécifiques qui unissent ses membres à l’intérieur d’une même culture, à savoir la langue, les codes vestimentaires ou encore l’art culinaire. Bien que la raison conçoit le monde selon un caractère universel, elle ne peut faire abstraction à la diversité culturelle, très difficile à inclure dans un seul et même concept. Cependant, les groupes d’individus issus d’une culture non dominante n’ont qu’une chance très infime pour accéder à une autre classe sociale à cause de leur identité naturelle. La justice n’est pas naturellement établie dans le monde civilisé, et qui dit civilisation dit pluralité de culture. Plus il y a de différence, plus l’homme s’efforce de trouver ce qui est juste pour la société, étant donné que l’éradication de la différence, surtout culturelle, est pratiquement impossible. Chaque culture détient son propre rythme de développement en fonction du capital de savoir accumulé au fil des générations et l’invention des génies intellectuelles. Peut-on blâmer un peuple en fonction de sa culture et de son développement ?