Dissertation de Philosophie (corrigé)
Introduction
Si une catégorie d’individus se distinguent par le fait qu’ils soient qualifiés sous la dénomination d’artiste, cela signifie que l’art n’est pas une activité à la portée de tout un chacun. Seules les spécialistes les personnes initiées à ce domaine peuvent porter un jugement juste sur ces réalisations. Pour le commun des mortels, l’art peut se prêter à diverses interprétations qui sont autant arbitraires et mêlées à des opinions. Et pourtant, le titre d’artiste exige qu’il communique ses émotions et ses sentiments à un public averti ou ignorant. Ce devoir implique donc qu’il use de son talent pour faire de son art un langage compréhensible. Kant l’a confirmé dans Qu’est-ce que s’orienter dans la pensée : « Penserions-nous beaucoup et penserions-nous bien si nous ne pensions pas en commun avec d’autres qui nous font part de leurs pensées et auxquels nous communiquions les nôtres ? » Car avant de concrétiser son imagination à travers la matière, l’artiste a conçu en esprit une Idée qui est l’essence même de sa création. Cependant, le résultat qui se porte à notre sensibilité n’est en rien universel, et recèle un sens caché ou en second degré qu’il n’est pas toujours évident d’appréhender. Sachant que l’art se déploie en tant que symbole de l’esthétique, sa fonction langagière se trouve alors subordonnée à cette nature prédominante. Est-il possible de créer un langage à l’intérieur de l’empire du Beau ? Pour savoir si l’art détient toutes les caractéristiques d’un langage, nous traiterons en première partie le monde de l’esthétique à l’intérieur duquel œuvre l’artiste ; puis nous analyserons en seconde partie les points essentiels qui qualifient en commun les différentes formes de langage ; et pour terminer nous synthétiserons par la forme spécifique de l’art qui se fait comprendre de façon authentique par chaque individu.
I) Les œuvres d’art traduisent en réalité sensible l’idée du Beau
On reconnaît immédiatement l’art par une manifestation corporelle, ce qui est perceptible à travers la sensibilité. Cette existence n’est pourtant pas du même ordre que les autres objets de la nature ou issus de l’artisanat, car ces derniers se vouent à une présence factice ou aux principes utilitaristes de l’homme. En effet, l’art détient une fonction représentative, soulignant d’une part une réalité à représenter et d’autre part, un support matériel qui donne du sens à ce modèle. Autrement, cette activité se donne particulièrement à se saisir dans sa réalité sensible, et fait partie des symboles sociaux incontournables. « L’art, dit-on est le règne de l’apparence, de l’illusion, et ce que nous appelons beau pourrait tout aussi bien être qualifié d’apparent et d’illusoire ». Cette citation d’Hegel tirée de l’Esthétique nous montre la véritable nature des œuvres d’art, et décrit fidèlement le sens profond de notre état d’émerveillement devant la beauté de ces créations. La notion de beauté en art devient alors problématique, dans le sens où elle nous détourne de ce qui est pour faire valoir ce qui paraît. Peut-on en déduire que l’apparence est inutile ? En y répondant par l’affirmative, cela implique que c’est l’art lui-même qui n’a pas sa raison d’être, or il s’agit d’une négation purement fictive. La prétendue inutilité du beau, mais également de l’art, n’enlève en rien à sa valeur et à sa présence dans le quotidien des hommes. Rappelons que l’activité de l’artiste prend source dans une imagination créatrice qui émane de sa propre liberté, et que rien en dehors de lui ne peut entraver. On peut emprunter ce passage de L’imaginaire de Sartre pour illustrer cette idée : « L’irréel est produit hors du monde par une conscience qui reste dans le monde et c’est parce qu’il est transcendentalement libre que l’homme imagine ». Dans le domaine artistique, l’imaginaire et la beauté sont donc étroitement corrélés, dans le sens où le produit sensible qui en découle reflète à la fois une part de ces deux entités. En imaginant son œuvre par la pensée, l’artiste fait donc advenir l’idée du Beau à l’existence, et ce, en s’inspirant et en dépassant la nature et la banalité des choses quotidiennes. Non seulement le beau dans l’art émane de cette excellente forme de médiation, mais également par cette façon de tourner un instant le dos à la quotidienneté, pour pouvoir donner consistance à l’imaginaire. C’est pourquoi Platon disait dans La République : « Quel but se propose la peinture relativement à chaque objet ? Est-ce de représenter ce qui est tel qu’il est ou ce qui paraît tel qu’il paraît ? Est-ce l’imitation de l’apparence ou de la réalité ? _ De l’apparence, dit-il ».
A part la beauté, l’apparence et l’imaginaire sont les principaux attributs de l’art, des notions qui sont pourtant incarnées dans la matérialité de l’œuvre. Bien que taxé d’être dépourvu de réalité, il déploie également une forme de communication, ce qui le met en fonction parallèle avec le langage.
II) Le langage est tout système de signes échangés entre les hommes
L’art est une manière particulière au sein d’une culture de véhiculer une idée qui est lui est identitaire. Ce qui le distingue est sa nature esthétique, tandis que les autres pratiques visent un but politique, économique ou organisationnel. En se focalisant particulièrement sur le langage, l’on constate que c’est une institution à part entière, incorporée par tout un peuple et transmise en des générations successives. Faisant également l’identité d’une culture, le langage représente une forme de rationalité à travers l’agencement des mots et des phrases pour exprimer une idée. Mais si on se suffit à établir cette formule claire et préétablie, notre pensée sera incapable de signifier toute l’étendue et la diversité du réel. Comme disait Merleau-Ponty dans son ouvrage Signes : « Le langage signifie quand, au lieu de copier la pensée, il se laisse défaire et refaire par elle. Il porte son sens comme la trace d’un pas signifie le mouvement et l’effort du corps ». A travers cette faculté imprévisible et toujours renouvelé de dire le réel, le langage déploie toute sa richesse et sa singularité. Hormis la langue, parlée ou écrite, il existe plusieurs traits communs qui caractérisent les différentes formes de langage, à savoir le déploiement des signes. Étant une invention humaine qui reflète une universalité de pensée, les signes ne sont pas pour autant une pure facticité, mais révèle une copie la plus proche possible de la réalité dans la pensée. C’est à travers la mise en cohésion de ces entités élémentaires que la rationalité se met en œuvre. Par conséquent, tout langage compréhensible doit contenir ce système de signes déployés de manière rationnelle. Il devient alors le schéma à travers lequel la pensée peut effectivement penser le réel. Autrement dit, « la nature se révèle comme Logos dans le langage de l’homme, et l’esprit qui ne fait qu’apparaître d’une façon contingente dans le visage et la forme humaine trouve seulement son expression parfaite dans le langage », disait Jean Hyppolite dans Logique et existence. Le propre du langage est donc ce pouvoir à projeter la réalité à l’intérieur de ce système rationnellement établi, le langage n’a pas d’utilité si demeure en tant que pure abstraction. Remarquons que ce qui apparaît immédiatement à la conscience lors de l’usage du langage, c’est l’aspect sensible de ces signes, tandis que leur mise en relation de façon cohérente dans la pensée se fait en toute fluidité et inconscience. Cela met en surface l’importance des signes comme véritable support du langage, sans quoi il ne peut avoir de communication de sens et de pensée entre les individus. Mais également, le rôle du langage ne suffit pas à faire connaître le réel à la pensée : par cette connaissance, il permet de mieux rapprocher l’homme avec le monde. « On jouit non des lois de la nature, mais de la nature, non des nombres, mais des qualités, non des relations mais des êtres », constate Georges Canguilhem dans La connaissance de la vie.
Le langage présente principalement une fonction de communication, ce qui est assuré d’une part par la forme rationnelle de la pensée, et d’autre part par l’existence d’un support matériel des signes. L’art, quant à lui, offre certaines similitudes au langage, mais avec plusieurs spécificités.
III) L’art peut assurer la fonction du langage
En comparant l’art et le langage, nous pouvons souligner certaines analogies, notamment l’usage des signes qui se donnent à interpréter. Cependant, dans le domaine de l’art, nous ne pouvons déceler une forme de rationalité dans son expression, ce qui n’est en rien un défaut, mais plutôt quelque chose qui découle de sa nature. Sachons que la valeur de l’art se donne à apprécier par la société et, par conséquent, peut se prêter en tant qu’outil entre les mains des différents groupes d’individus. En ce sens, les différentes formes d’art s’utilisent le plus souvent pour véhiculer une idéologie à se faire accepter par la masse, bien que la fonction originelle de l’art n’y soit pas dédiée. Autrement dit, l’art devient une nouvelle forme de langage, telle qu’il est stipulé par Kant dans son ouvrage Anthropologie du point de vue pragmatique : « Du reste, un artiste dans le domaine de la politique peut, tout comme un artiste dans le domaine de l’esthétique, conduire et diriger le monde par les images qu’il sait faire miroiter aux lieux et places de la réalité ». Ici, l’homme politique s’inspire des pratiques de l’artiste pour aiguiser son savoir-faire, notamment l’art oratoire : ainsi, le langage se transforme lui-même en art. Par ailleurs, il est des cas où de véritables œuvres d’art sont utilisées par leurs créateurs pour exprimer des faits sociaux que les individus n’osent pas dévoiler à cause des tabous et de la censure. Déguisées sous une forme esthétique, ces idées peuvent s’exprimer au grand jour pour avoir une répercussion notable sur la conscience collective et dans la vie en société. En termes d’efficacité, l’usage de l’art en tant que vecteur d’idéologie a déjà fait ses preuves, cependant son pouvoir à changer le monde dépend encore du concours de plusieurs autres facteurs. Comme disait Pascal dans De l’esprit géométrique, « l’art de persuader consiste autant en celui d’agréger qu’en celui de convaincre, tant les hommes se gouvernent plus par caprice que par raison ! ». Il est donc un fait incontestable que l’art n’a pas du tout une place neutre au sein de la société, même si son usage se prête dans le fait de plaire à la foule plutôt que de l’éduquer selon les préceptes de la raison. Soulignons par ailleurs que cette fonction que l’homme du commun lui a attribuée n’altère en rien son essence, par le fait que la beauté authentique de l’œuvre demeure toujours dans le domaine réservé à l’art. La vulgarisation d’une création artistique, notamment pour son usage généralisé en tant que langage entre les groupes et les individus, est un choix en dehors du domaine de l’esthétique. Les déviations qui en découlent sont en effet perceptibles à travers la vie politique et les changements dégradants au sein de la société. Descartes a en effet stipulé la remarque suivante dans Jugement de quelques lettres de M. de Balzac : « Car de la bouche des sages elle est passée dans celle des hommes du commun, qui, désespérant de se pouvoir rendre maîtres de l’esprit de leurs auditeurs en n‘employant d’autres armes que celles de la vérité, ont eu recours aux sophismes et aux vaines subtilités du discours ».
Conclusion
Loin d’être un objet banal, l’œuvre d’art est en effet l’incarnation de toute la vie intérieure de l’artiste, une réalisation qui marquera les esprits de ses contemporains aussi bien que les générations à venir. Cette beauté singulière, une fois passée entre les mains de la plèbe et du pouvoir, devient un outil incontournable pour faire valoir les idéologies dominantes ou, à plus forte raison, pour réformer la structure de la société. L’art est un langage très particulier, originellement entre l’artiste et les amateurs d’art, et par la suite entre les groupes sociaux et ses subordonnées. L’art est toujours et déjà un langage esthétique, et ce langage n’est possible que pour des sujets qui sont ouverts à ce mode d’interprétation. Les signes qui se dévoilent dans une œuvre d’art s’organisent de manière distincte de la méthode rationnelle. Comment donner de la valeur à cette forme irrationnelle de l’art ?