Dissertation de Philosophie (corrigé)
Introduction
Une théorie est un système conceptuel, soit un ensemble d’idées, qui propose une explication sur un phénomène. Il semble évident qu’elle ne peut se séparer de ce dernier étant donné qu’un phénomène est une expérience. Toutefois, dans un sens plus large quand on dit « en théorie », cela signifie que par un raisonnement déductif une idée est valide d’un simple point de vue rationnel. Dans un autre sens quand on affirme « ce n’est qu’une théorie », cela renvoie à une spéculation acceptable de l’imagination. La théorie rejoint ici l’idée d’hypothèse. Dans ces deux usages communs, la théorie rappelle l’origine grecque de son étymologie « téoria » qui signifie « contemplation » et qui à l’époque était la contemplation d’un monde métaphysique, soit ce qui se trouve au-delà du monde physique sensible. La théorie recèle un caractère abstrait. Comment dès lors se fait-il que la théorie puisse se tenir sur deux caractères opposés qui sont l’incoercibilité de la référence sensible de l’expérience et de son interprétation abstraite du réel? Pour répondre à cela, nous verrons premièrement comment il semble évident que la théorie ne peut se séparer et est indissociable de l’expérience. Puis, deuxièmement en quoi son caractère au sens d’être abstrait justifie son détachement de l’expérience dans la formation de connaissances qui n’ont de seule autorité que par leur rationalité. Enfin troisièmement, de quelle manière la théorie entretient-elle véritablement un rapport avec son objet de connaissance.
Partie I : La visée d’une théorie est l’explication de l’expérience
1. La théorie veut expliquer un phénomène sensible et se doit de partir de la nature elle-même
Il nous paraît d’abord évident d’affirmer que la visée d’une théorie est l’explication des phénomènes de la nature. L’idée de phénomène et d’expérience sont étroitement liées. Le phénomène est « ce qui apparaît » à nos organes de sens. Celle-ci renvoie directement à l’idée d’expérience qui signifie faire « l’épreuve de ». Dès lors, la théorie doit se fonder sur cette expérience du phénomène naturel lui-même. Pour le philosophe anglais Bacon, « La meilleure démonstration est l’expérience, pourvu qu’elle tienne ferme à cela même qui est expérimenté ». Bacon s’exprime pour avertir que le problème d’une explication purement théorique de la nature est qu’elle interprète la nature au lieu de s’ouvrir à ce qu’elle est dans sa réalité nue. On sait que les pures théories sont facilement imprégnées de pensées métaphysiques comme les idéologies et les croyances.
2. La théorie se doit aussi être vérifiée par l’expérience.
C’est ainsi qu’on a édifié les principes de la théorie scientifique par la méthode expérimentale. Une théorie si elle vise à expliquer les phénomènes doit être le produit de l’épreuve de l’observation expérimentale. L’observation expérimentale est la mise en place de dispositifs d’observations qui vérifient la pertinence d’une théorie comme le modèle d’explication d’un phénomène. Ces dispositifs d’observation sont des instruments de mesures mathématiques et des théories qui ont été déjà admises comme pertinentes. Ainsi, l’observation expérimentale demande que la théorie se présente nécessairement dans les conditions idéales de l’expérience reproductible d’où elle découle. La pertinence de cette méthode expérimentale est qu’elle sépare les théories vides des théories « concrètes ». Les théories vides sont celles dont on n’arrive pas à imaginer une expérience qui peuvent les réfuter. Ces théories peuvent alors à la fois tout dire et ne rien dire. Ce qui, par conséquent, donnerait la voie à toutes les spéculations les plus farfelues. Au contraire, les théories « concrètes » sont les théories dont on a la possibilité d’une réfutation concrète et ce qui a au moins une dialectique, soit un dialogue qui s’enrichit dans son entretien avec la réalité.
La théorie si elle veut être fidèle à sa visée comme une explication de la nature se doit d’être fondée sur l’expérience qu’elle en prenne comme source ou qu’elle en éprouve une pertinence. Toutefois, ne serait-ce pas sous-estimer les aspects théoriques même de l’expérience scientifique?
Partie II : La théorie comme détachement de l’expérience pour ne rendre compte que de la rationalité.
1. La théorie dépasse l’expérience
L’histoire de la science a démontré que la théorie prend une certaine distance avec l’expérience pour expliquer les phénomènes. Ceci est du fait que la nature de l’expérience sensible est d’être particulière, volatile, instable et qui peut induire en erreur. La théorie est alors parvenue à s’en détacher. On remarque par exemple le phénomène de la chute des corps dont la théorisation oppose Galilée à Aristote. Aristote pose que deux objets de masses différentes ne tomberont pas en même temps. Ce qui semble évident par l’expérience sensible de la masse. Galilée contredira cette théorie par une expérience de pensée qui pose que deux objets, même de masses différentes, tomberont simultanément dans le vide. Galilée suppose que la différence de vitesse de chute entre les deux objets de différentes masses est due à la résistance de l’air et que c’est la forme aérodynamique des objets qui fait la différence de vitesse. Le problème étant que la pertinence de la théorie de Galilée s’est d’abord basée sur une expérience de pensée, soit une représentation virtuelle. Pourtant, Galilée en a pu faire une observation concrète acceptable pour vérifier et finalement valider sa théorie. Il est important de souligner que Galilée dans sa formulation théorique est d’abord allé à l’encontre de l’expérience sensible. Galilée a fait preuve d’une conceptualisation intuitive pour résoudre les contradictions que posait la théorie d’Aristote. Ce qui laisse à supposer que les théories s’organisent par l’ingéniosité conceptuelle de la raison. Actuellement, cette tendance de théorisation s’est peu à peu imposée par le manque de technologie d’observation pertinente. Notamment dans le domaine de la physique théorique comme les théories d’une physique quantique.
2. La théorie part de principes théoriques nécessairement posés par les axiomes
Ce qui nous amène à penser que les théories peuvent se déduire d’elles-mêmes. On comprend qu’une théorie soit l’œuvre d’une déduction puisque le raisonnement déductif est non seulement la garantie de la cohérence rationnelle de l’articulation des idées qui ont amené à la théorie, mais aussi à la nécessaire fécondation de la théorie. La déduction pose qu’à partir des prémisses que l’on a admises, une certaine conclusion en découle nécessairement. Elle correspond à ce que Aristote énonce clairement par « un discours tel que, certaines choses étant posées, quelque chose d’autre que ces données en résulte nécessairement par le seul fait de ces données ». Mais encore, dans ce raisonnement, il nous faut d’abord rappeler qu’il doit bien avoir commencé quelque part et que ce quelque part doit être d’une certaine manière intuitive ou conventionnelle et admis comme étant un principe indémontrable par un principe ultérieur. La raison en est que pour démontrer une théorie, on ne peut régresser à l’infini dans le souci d’une preuve absolue de ses prémisses, à défaut d’instrument d’observation, mais surtout par la nécessité logique de poser des fondations. En mathématique, on appelle ce quelque part indémontrable un axiome. Les axiomes sont les clés de voûte d’une théorie, elles prennent soit la forme d’un postulat, ce que l’on pose comme admis, soit la forme de l’intuition évidente, une idée qui est par son énoncé même, nécessairement logique. Par exemple, la nécessité logique de l’axiome du « point » est telle qu’on l’énonce par l’« une unité dont la partie est nulle ». On peut en conclure qu’une théorie ne part pas nécessairement d’un vécu sensible, mais peut aussi découler d’une incoercibilité rationnelle.
Ainsi, la théorie dépasserait non seulement l’expérience, mais peut aussi se fonder d’elle-même par sa simple nature rationnelle. Il ne nous reste qu’à résoudre comment la théorie peut se tenir sur ces deux pieds qui apparaissent comme fondamentalement contradictoires.
Partie III : La dialectique de la théorie et de l’expérience
1. La théorie ne prétend pas rendre parfaitement compte de la réalité
D’abord, apportons un éclaircissement sur la véritable prétention d’une théorie scientifique. Les scientifiques Einstein et Infeld ont utilisé la métaphore d’une horloge fermée pour expliquer cette prétention. L’idée est que la réalité est comme une horloge fermée dont la rotation des aiguilles représente les phénomènes observables. Le scientifique part de ce qui est observable pour réaliser un système conceptuel efficace qui rendrait compte du mécanisme intrinsèque de l’horloge. Le problème est que le scientifique ne pourra jamais comparer son modèle théorique au mécanisme réel de la montre, si mécanisme d’ailleurs il y a, avec exactitude. C’est pourquoi la communauté scientifique préfère se référer aux termes de « théorie scientifique » ou de « modèles théoriques » au lieu de de vérités scientifiques par humilité épistémologique, soit ce qui se rapporte à la théorie de la connaissance scientifique. C’est-à-dire plus exactement que le système conceptuel dégagé par une expérience scientifique ne prétend pas rendre compte fidèlement d’une raison intrinsèque à « ce qui est », soit à la réalité en elle-même. Toutefois, si le fait est qu’on ne peut pas définitivement prouver l’exactitude d’une théorie scientifique dans sa correspondance à la réalité d’un objet, cela ne signifie pas en toute rigueur qu’on ne peut au moins les infirmer et par conséquent de faire progresser la marge de certitude.
2. La théorie n’est pas fondée sur l’expérience mais se construit avec l’expérimentation
Prenons encore l’exemple de la théorie scientifique. Un retour expérimental sur le réel pour tester une théorie est fondamentalement un ensemble théorique qui teste une théorie de sorte que sa confrontation à l’expérience concrète, réussie ou non, conditionne nécessairement la théorie observée ou le corpus théorique qui observe. Un conditionnement, car l’expérience réussie ou non renforce ou diminue la crédibilité des théories en jeu, les améliore ou découvre même d’autre théorie. Rappelons qu’une expérience scientifique est la conjecture de théories scientifiques auparavant corroborées pour encadrer l’expérimentation d’une théorie qui n’a pas encore fait ses preuves. Ces théories corroborées rendent compte des conditions de l’expérience. On fait l’expérience d’une théorie en tenant compte des facteurs atmosphériques. La théorie de la pression atmosphérique qui matérialise le baromètre doit participer à cette expérience en rendant compte de cette partie des conditions atmosphériques de l’expérience. Donc, si l’expérience ne montre pas les résultats attendus on ne peut de suite réfuter la théorie, il faudrait revérifier la mise en place des conditions de l’expérience, soit de la pertinence des instruments de mesure, comme le baromètre. Dans cette vérification, il peut dès lors arriver que l’on découvre la possibilité d’une meilleure théorie qui peut remplacer le baromètre ou qui l’améliore. On peut conclure que la théorie et l’expérience se déterminent entre elles.
Conclusion
Si d’emblée la théorie a pour objectif l’explication du phénomène, celui-ci en étant fondamentalement une expérience doit se fonder sur l’expérience. Cependant, si la théorie opère abstraitement l’expérience dans un souci rationnel et qu’au final elle arrive à produire des concepts purement abstraits qui peuvent se déduire d’elle-même, alors la théorie n’aurait fondamentalement rien de concret. L’erreur est de surestimer la valeur de la théorie dans sa correspondance au réel. Les idées scientifiques sont accordées du nom de la théorie scientifique dans leur humilité à n’offrir que les modèles les plus pertinents pour expliquer les phénomènes naturels, faute de pouvoir comparer connaissances scientifiques et réalité d’une manière absolue. Ainsi, on se rend alors compte que théorie et expérience se répondent dialectiquement et produisent ainsi de nouveaux horizons.